Chapitre 10 eme

Utopia

Demain, nous nous rendrions à l'herboristerie et peut-être aurions nous enfin une réponse. Peut-être une solution.

Avant même de n'avoir complètement émergé du sommeil, je sentais le corps chaud de Félix contre le mien. C'était une sensation d'une rare allégresse. Sa peau brûlante, son souffle doux. J'étais si bien.

Peu à peu, à mesure que je me réveillais, les images et les souvenirs de la veille au soir me revinrent en mémoire. Je sentis mes joues s'empourprer, et mon cœur battre à tout rompre. Nous étions passés du stade de compagnons d'infortune, à amant. Je me souvenais clairement de ses gestes, de sa voix, de ses mots...

Je le serrai un peu plus contre moi nichant mon visage dans ses cheveux couleur de miel. Je n'avais rarement été plus heureux. A dire vrai, le seul moment où je l'avais été, était lorsqu'il avait prononcé ces mots : " Je vous aime". Et le simple souvenir de ces quelques syllabes mettait mon cœur en émois.

Je n'avais pas été capable de lui répondre, mais j'espérais que mes gestes, l'affection que je lui portais avait suffi à lui faire comprendre que je ressentais pour lui la même chose. Je doutais presque que ces mots ne furent que trop faible pour décrire l'attachement que j'avais pour lui.

A l'instant même où ses lèvres en cœur avaient frôlé les miennes je m'étais rendu compte que j'avais toujours été attiré par lui. Depuis le premier jour. Depuis que mon regard s'était posé sur sa personne.

Et alors que nous partagions ce moment intime, je m'étais senti comme complet. C'était une sensation mystérieuse qui me prenait aux tripes, et bien plus profondément encore. J'avais senti ce lien, et c'était comme si mon âme avait retrouvé sa partie manquante.

Je n'étais pas une personne spirituelle, je me basais le plus souvent sur les sciences et les faits, mais ce qu'il s'était passé entre nous n'avait rien d'explicable. C'était transcendant, métaphysique, magique. Au-delà des sens, nous partagions une seule et même résonance. Je vibrais en lui et lui en moi.

Perdu dans mes pensées, je fus tiré de ma rêverie par une paire de lèvres contre les miennes. Je n'avais pas imaginé Felix prendre une telle initiative, mais je lui en était reconnaissant.

C'était un simple baiser, presque chaste. Un salut entre deux personnes qui s'aiment.

" Bonjour ChangBin, dit il de sa voix brisé. Avez-vous bien dormi cette nuit ?"

J'observais son visage et en détaille chaque petites taches brune avec amour. Puis d'un doigt léger, je vint repousser une mèche de son front.

" Très bien. Je n'ai fait aucun cauchemar. Et toi ? "

Il me sourit alors et mon palpitant manqua de s'arrêter. Son sourire était aussi brillant que le soleil et aussi chaud que le feu. Comment avais-je fait pour ne pas l'avoir remarqué plus tôt ?

Je passais mon pouce sur sa joue alors qu'il me répondait qu'il avait lui aussi bien dormi, mais je ne lui laissais pas le temps de terminer sa phrase que je fonçais à nouveau sur ses lèvres.

Cela ne sembla pas le déranger, il répondit à mon baiser en riant tant il était heureux. Et je le savais, car nous partagions à présent les mêmes sentiments.

Après un long baiser passionné et langoureux, nous nous séparâmes quelque peu bien que nos cœur n'eussent voulu le contraire.

Tout en caressant son ventre d'une main, je lui demandais s'il avait faim. Il sembla réfléchir quelques instants avant de me répondre qu'il pouvait attendre encore un peu. Sa dextre quitta ma nuque pour rejoindre ma senestre qu'il prit et la porta à ses lèvres. Il embrassa chaque phalanges puis ma paume et mon poignet, il descendit le long de mon bras mais se stoppa en voyant ma tache de naissance sur ce dernier.

Je retirai rapidement mon bras et tout en me reculant la cachai de mon autre main. Il fut surpris de mon geste et cela le mis mal à l'aise. Mais je n'avais pu m'en empêcher... Je détestais cette tache.
Présente et très visible depuis ma naissance, elle avait la forme très distinctive d'un asphodèle. Je ne l'ai pas toujours détesté... Quand j'étais petit, j'avais demandé à ma grand-mère pourquoi il y avait cette tâche dont les autres enfants se moquaient, sur mon bras. Elle m'expliqua alors que cette tâche en forme d'asphodèle était un signe des dieux. Ces derniers m'avaient marqué de cette fleur pour que les personnes qui m'aiment puissent toujours veiller sur moi, et ce même après leur grand départ. A ce moment là je n'avais pas bien compris, mais je trouvais ça beau de penser que les dieux m'avaient donné ce cadeau. Cependant, lorsque mes grand-parents quittèrent ce monde, elle prit un tout autre sens. Je compris vraiment ce qu'elle voulait dire, et elle me rappelait que trop bien que je n'avais pas pu aider et protéger ma seule famille contre la maladie et par conséquent la mort. Tous les jours, elle était là pour le rappeler que j'avais été égoïste. Que je les avais abandonnés.

C'était ainsi que j'en étais venu à détester cette tache.

Face à moi, se trouvait toujours Felix, les lèvres pincés. Je me sentais idiot d'avoir réagi de la sorte... Certes, je ne portais pas la tache dans mon cœur, mais elle faisait parti de moi et je doutais que Félix ne trouve quelque chose à dire dessus.

Doucement, je lâchais mon bras pour la découvrir.

" Je ne sais pas de quoi vous avez peur Changbin, mais je ne vous jugerez jamais... Montrez-moi s'il vous plaît."

Je me remis tout près de lui et lui tendis mon bras. Il le prit entre ses petites mains, puis effleurât la Tâche du bout de son index. Il était doux et tendre, comme s'il touchait une peinture pas tout à fait sèche.

" C'est amusant, votre tache de naissance ressemble à une fleur.

-Oui, répondis-je, un asphodèle."

Un léger rire traversa la barrière de ses lèvres puis il me regarda en souriant.

" Je le trouve très beau."

Il déposa ses lèvres sur l'asphodèle puis lâchant doucement mon bras, il dit : " Ce qui est véritablement amusant, mais aussi étrange, c'est que moi aussi je possède une marque similaire."

Surpris, je le regardais baisser le drap pour découvrir la totalité de son ventre jusqu'à son pubis. Mais gêné de le voir nu, ou presque, je détournais le regard. Seulement, il attira mon attention sur une marque au bas de son ventre vers sa hanche droite.

Poussé par la curiosité, je la regardai, oubliant toute gêne. En effet, son ventre était décoré d'une tache violacée qui ressemblait beaucoup à un œillet. Sans réfléchir, je passais mes doigts dessus, avec la même délicatesse que la sienne.

Paradoxalement, je la trouvais magnifique. L'on aurait dit que quelqu'un avait peint avec tout son cœur une belle fleur.

" C'est un Œillet, me dit-il en venant à la rencontre de mes doigts. C'est ma mère qui me l'a donné pour qu'elle puisse veiller sur moi de là où elle se trouve maintenant. Car les œillets sont synonyme d'amour éternel.

-Et de deuil, ajoutais-je.

-Oui...

-C'est une belle métaphore.

-Et vous ? Que veut dire votre asphodèle ? Quel sens lui avez-vous donné ?"

Je soupirai longuement avant de laisser ma tête se poser contre celle du lit.

" Je ne sais plus. Enfin... L'asphodèle à beaucoup de sens... Par exemple, il peut vouloir dire un cœur abandonné, désolé... Dans la mythologie grecque, il est relié à la résurrection. Pour Homère, un grand auteur de la Grèce antique, les âmes des défunts se nourrissaient de ses racines... Ma grand-mère avait, quant à elle une explication plus proche de la tienne. Pour elle, cette tâche représentait en quelque sorte l'amour des personnes qui ne sont plus là... Mais aujourd'hui... Elle me rappelle juste que je les ai abandonnés, elle et mon grand-père."

Je me surpris à me confier aussi facilement, mais finalement le lien étrange que je sentais entre lui et moi m'empêcher de lui mentir ou lui cacher quoi que ce soit.

" Ne soyez pas si dur avec vous-même... Je suis certain qu'ils ne vous en veulent pas. Je suis sûr qu'ils étaient heureux de vous voir réaliser vos rêves d'étudier la littérature..."

Il prit ma main dans la sienne et la serra avec force, mais aussi avec beaucoup de douceur.

Alors que mon cœur était meurtris de mélancolie, il était écrasé sous l'abondance de son amour et bientôt, je ne sentis que cette douce chaleur en moi.

" Merci Félix.

- Ne trouvez-vous pas cela étonnant et fascinant que nous ayons tous deux une marque de fleurs, certes différentes, mais avec un sens commun ?

- C'est vrai. C'est étonnant. Je ne pensais pas rencontrer un jour quelqu'un avec une chose similaire. Mais il y a beaucoup de sujets étonnants qui nous relie.

- Oui... Mais j'aime penser que peut-être... Nous avons un destin lié ?

- Ce serait fou... Mais au vu de ce qui se passe je serais du même avis."

Il me sourit grandement et après avoir déposé un doux baiser sur ma joue et se leva pour s'habiller. Je le laissai faire avant de faire de même en repensant à ce que nous venions de dire.

Oui, il y avait quelque chose qui nous liait, autre que l'amour et la lycéenne. Mais cette chose n'était elle pas un peu trop sombre pour être sortie ? Car ce qui reliait nos, marque, ce qui nous avait fait nous rencontrer, ce qui nous forçait à rester ensemble n'était autre que la mort.

×××

Plus tard, vers midi, nous décidâmes de faire un tour en ville et d'aller à la serre botanique. Felix voulait dessiner et l'ambiance de la maison ou du parc lui rappelait trop les récents événements. J'avais proposé de nous rendre hors de la ville, près du lac et d'y rester la nuit dans un hôtel, mais il avait refusé, ne voulant pas que je paye pour lui. Cependant, j'avais décelé en lui une peur profonde et terrible. Je ne savais ce qui l'effrayait néanmoins, préférai ne rien dire et opter pour la serre. Nous vivions bien trop de choses terrifiante pour que je n'ose poser la moindre question.

C'était une belle journée, le ciel était bleu, sans le moindre nuage, une légère brise venant du nord rafraîchissait l'air très chaud de ce début d'après-midi. Sandwichs à la mains, nous nous dirigions vers la grande serre. C'était un peu loin de là où nous habitions et nous avons du prendre un tramway. Le voyage avait l'air de plaire à Félix. Il était joyeux et souriant. Bien que l'on tenait notre repas, il avait discrètement glissé sa main dans la mienne, se fichant bien de ce que les gens pouvait dire.

Le voir ainsi, plein de vie, de joie et d'entrain emplissait mon coeur de bonheur et je priais pour que nos troubles soient définitivement disparus.

Les rues étaient colorées et pleines de vies. Je n'aimais d'habitude pas la compagnie et ce genre d'ambiance, mais avec tout ce que nous avions récemment vécu, c'était un soulagement de voir que la vie était toujours là. Que la joie et le bonheur n'avaient pas quitté ce monde.

Nous nous stoppâmes devant un groupe d'artiste de rue, et regardâmes leur spectacle, ou plutôt, Félix les regardait alors que je ne pouvais détourner le regard de son visage rayonnant d'allégresse. Je n'arrivais plus à me concentrer sur autre chose, si bien qu'il le remarqua et me regarda à son tour. Il me sourit joyeusement.

" Regardez-les danser ! C'est impressionnant !"

Je voulais l'embrasser. Je voulais le serrer contre moi. Mon cœur me disait de le faire, de m'emparer de ses lèvres et d'y goûter comme s'il n'y avait pas de lendemain, mais ma raison me poussa à y renoncer. Il y avait bien trop de monde et je ne voulais pas nous attirer des ennuis... Finalement, je détournai le regard vers les danseurs et me contentai d'entrelacer nos doigts.

Je ne sais combien de temps nous les regardâmes, au plus grand plaisir de Félix. La foule autour de nous changea au moins trois fois avant qu'il ne se détourne d'eux pour me dire que nous devrions y aller. Je laissai une pièce dans leur chapeau sans laisser le plus jeune le voir, puis nous continuâmes notre route vers la serre.

Tout le long du trajet, le blond me parla des danseurs et danseuses, des couleurs qu'ils portaient, de la musique qui les accompagnait. Il était curieux et enthousiaste. Jamais je ne l'avais vu comme ça, et cela me fit tomber pour lui un peu plus encore.

Rapidement, nous arrivâmes à la grande serre botanique. Les entrées étaient gratuites, mais les portes étaient tout de même gardé par des hommes de sécurité. Ils ne laissaient pas n'importe qui entrer.

Devant les portes, nous dûmes décliner nos identités et professions, puis ils nous laissèrent entrer.

Cet endroit était magnifique. Une gigantesque verrière de plus de dix mètres de haut surplombait la totalité de l'espace. Il y faisait étonnement frais, et Félix m'expliqua que c'était dû aux arbres mais aussi à la petite rivière qui s'étendait un peu plus loin. Je n'étais jamais venu. Comment avais-je pu ignorer la présence de ce petit paradis.

Tout ici n'était que verdure. Il y avait quelques sentiers de terre battue et des arbres si grand que si l'on oubliait le toit de verre l'on aurait pu se croire dans une forêt.

" Cet endroit est magique ! m'exclamais-je en avançant vers un arbre."

Felix rit puis prit ma main.

" Je vais vous montrer mon coin préféré. C'est véritablement un endroit magique."

Il me tira à travers les arbres et les fougères, nous quittâmes le sentier tout en nous approchant de la petite rivière. Nous marchâmes ainsi entre les plantes durant cinq bonnes minutes, avant de déboucher sur une minuscule clairière près d'une petite cascade qui coulait le long que gros rochers. C'était une petite oasis perdue dans les bois de cette serre. Un endroit hors du temps et de l'espace où une mousse douce et verte recouvrait les pierres grises. Tout autour de nous, les arbres formaient un mur vert, nous protégeant de tous regards et nous faisant oublier que nous n'étions pas réellement dehors. L'on percevait à peine les vitres entre les feuillages. Seuls quelques rayons de soleil chaud perçait à travers la canopée pour venir caresser les brins d'herbes tendres et les vaguelettes calmes de l'eau. Ici, l'air était frais, humide et pur. Le sol était recouvert de petites fleurs blanches aux pétales triangles sur lesquels se pressait quelques abeilles paresseuses et papillons colorés.

" Sommes nous vraiment dans la serre ? demandais-je, incrédule devant la beauté de ce lieu.

- Evidemment, rit-il en venant embrasser ma joue. Où voulez-vous que nous soyons ?

- Je ne sais pas... Cet endroit est trop beau pour être dans une cage de verre.

- Et pourtant... Nous y sommes toujours. Mais c'est vrai qu'il y a quelque chose de magique ici. Une sensation, une "énergie" que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Peut-être ce sont les pierres ? dit-il en montrant la petite cascade. Ou le mouvement de l'eau..."

Il haussa les épaules et lâchant lentement ma main, il s'assit sur le sol dans un petit trou de fleurs.

" Asseyez-vous ChangBin."

Je m'exécutai sans réfléchir, me posant à ses côtés. Nous restâmes quelques instants silencieux à contempler la nature autour de nous, profitant simplement de sa beauté, de sa pureté, de sa fraîcheur innocente.

" J'aimerais que ce moment dure pour toujours, murmura le plus jeune.

-Moi aussi."

Je pris sa main dans la mienne et le tirant doucement par celle-ci le pris dans mes bras. Acte irréfléchi et instinctif. Je lui embrassai le front puis les cheveux alors qu'il se lovait avec douceur contre mon torse.

Puis, il leva les yeux vers moi et plongea son regard noisette dans le mien. Je sentais son cœur battre en moi et son amour me transpercer de part en part. Il était si fort, innocent et inconditionnel. Et je le savais, car je le ressentais comme je sentais l'herbe me caresser les chevilles ou la petite brise passer dans mes cheveux.

Je pensai pendant un moment que nous avions disparus dans un monde parallèle où nous étions les seuls habitants. Ou seul notre amour existait et importait.

Je m'avançai et pressai mes lippes contre les siennes. Il répondit au baiser avec toute la tendresse du monde, posant une main contre ma joue. Ses lèvres happaient les miennes avec la délicatesse d'un papillon et la détermination farouche d'un amour nouveau. Et je goûtais aux siennes avec un appétit sans fin, et une tendresse infinie.

Je l'aimais. Plus que tout.

Mes mains se glissèrent dans son dos, et alors que nos bouches se retrouvaient dans un énième baiser langoureux, nous nous laissâmes tomber l'un sur l'autre, oubliant tout ce qui nous entourait. Et nous nous aimâmes de tout notre cœur, de tout notre corps, comme nous nous étions aimé la veille.

×××

Felix était assis sur un rocher près du cours d'eau son carnet à la main et des pastels sur les genoux. Il dessinait ce qu'il voyait, ou laissait libre cours à son imagination, et moi, je le regardait tout en lisant un livre sur les entités démoniaques.

Mais la vue qui s'offrait à moi était plus intéressante et surtout plus belle que les récits sur Baal, Lucifer, Lilith, Astaroth et tous leurs frères et sœurs.

Trop vite, le ciel se tinta de rouges et oranges, sonnant la fin de la journée. Je ne voulais pas rentrer, et Felix non plus. Nous étions bien ici. Personne n'était venu nous déranger et nous étions au calme. Aucune vision, aucune torpeur. Ici, c'était un petit coin de paradis. Malheureusement, le lieu fermait à vingt-heure, et si nous ne voulions pas être enfermés et risquer des soucis, nous devions partir.

Nous quittâmes la serre à contre-cœur, mais nous nous promîmes d'y retourner bientôt.

Pour prolonger notre sortie, nous rentrâmes le plus lentement possible, profitant du moindre éclat de vie.

Demain, nous nous rendrions à l'herboristerie et peut-être aurions nous enfin une réponse. Peut-être une solution.

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